Les Nations unies du hockey

À « Parc-Ex », le hockey fleurit

Enraciner le hockey dans un quartier immigrant et modeste de Montréal ? C’est le pari du programme de hockey SLAP à Parc-Extension. Avec des bouts de ficelle et une poignée d’heures de glace par semaine, des passionnés transmettent leur amour du hockey à des dizaines d’enfants d’immigrants pakistanais, ghanéens ou indiens. Incursion aux Nations unies du hockey.

C’est un dimanche soir à Montréal. Il est 18 h, pour être précis, un moment ingrat pour le hockey mineur. Mais Rasiskal Patel, 44 ans, est quand même au rendez-vous. Le père de famille est occupé, dans le vestiaire, à habiller ses garçons de 10 et 12 ans, comme on le fait aux quatre coins du Québec.

Les épaulettes, le chandail, les patins...

Rasiskal regarde ses fils partir sur la glace avec un air de fierté. « Ils ont commencé le hockey l’année dernière et déjà, ils n’ont plus peur de tomber », dit-il. Lui-même n’a jamais enfilé de patins de sa vie. « Je ne sais pas patiner. Moi, je joue au cricket. »

L’aréna Howie-Morenz est situé à la limite nord du quartier Parc-Extension, l’un des plus multiethniques du pays. Ici, près de 65 % des habitants sont nés à l’extérieur du Canada. Ici, ils sont 41 % à vivre sous le seuil de faible revenu, contre 23 % pour l’île de Montréal.

En termes simples, nous sommes dans un quartier immigrant et pauvre. Cela dit, le quartier change, alors que de plus en plus de transfuges du Plateau et de Villeray y déménagent en quête d’un logement abordable. Les nouveaux arrivants s’y installent souvent en attendant de trouver mieux ailleurs. 

C’est le cas de Rasiskal. Après des années à vivre à « Parc-Ex », cet immigrant indien vient de déménager à Ahuntsic. S’il traverse la ville cinq fois par semaine pour se rendre à l’aréna Howie-Morenz, c’est seulement pour le programme de hockey SLAP.

Pour bien comprendre ce programme unique en son genre, il faut connaître Vinnie Matteo. L’homme, impliqué dans le hockey mineur et ancien propriétaire de l’équipe de hockey féminin l’Avalanche à Laval, est un verbomoteur.

« Le hockey, c’est mon métier. Ce programme, c’est ma passion », lance-t-il, alors qu’il marche d’un pas pressé d’un bout à l’autre de l’aréna, saluant tous ceux qu’il croise par leur prénom, distribuant des tapes dans le dos et, à un moment, lançant un regard méfiant à un spectateur, casquette à l’envers, qu’il ne connaît pas. « Lui, je l’ai à l’œil. »

Matteo a cofondé le programme il y a 10 ans, avec l’aide de Jeunesse au Soleil et de l’Organisation des jeunes de Parc-Extension (PEYO). Le but est simple : donner une chance aux jeunes de Parc-Ex de jouer au hockey et, si possible, faire fleurir le hockey dans ce quartier immigrant.

« Ici, ça ne peut pas marcher comme le hockey d’élite. Ce n’est pas du triple lettre, oubliez ça. Ici, il n’y a pas de stress si un parent arrive en retard. Et surtout, ici, ça ne coûte pas des millions pour jouer. C’est le plus important. »

— Vinnie Matteo, cofondateur du programme SLAP

Dans une association de hockey mineur classique, il peut en coûter 400 $ pour inscrire un jeune – sans compter l’équipement au prix prohibitif. Dans le programme SLAP, un parent paye 175 $ pour la saison, de septembre à avril, et l’équipement est prêté.

« Si je n’offrais pas l’équipement gratuit, j’aurais peut-être 10 % de ma clientèle qui viendrait, pas davantage. L’équipement, c’est la clé. Ces jeunes ne joueraient tout simplement pas au hockey sinon, car ils n’en auraient pas les moyens. »

Cette année, une centaine de jeunes de 4 à 13 ans sont inscrits. Ils ont deux entraînements par semaine, durant lesquels ils disputent des matchs intraéquipes. Mais ils ne sont dans aucune ligue. Ils évoluent en quelque sorte en marge du hockey mineur, de sa compétition, de ses obsessions ; ils jouent au hockey comme on joue à un jeu, voilà tout.

FRANÇAIS, ANGLAIS, EWE ET TWI

Un des buts du programme est de permettre aux jeunes d’attraper le virus pour qu’après quelques saisons avec SLAP, ils fassent le saut dans le « vrai » hockey.

« Les parents nous disent merci parce que ce n’est pas cher. Mais je leur dis toujours : “Tu vas arrêter de me remercier quand ton gars voudra aller jouer dans le hockey organisé !”, dit en rigolant Vinnie Matteo. Parce que là, ça va leur coûter très cher ! »

Plusieurs jeunes de Parc-Ex font ensuite le saut au hockey mineur standard. Ce sera bientôt le cas de Raeden Dzirasah Eden, un joueur de 6 ans « et demi » qui ne jure que par P.K. Subban.

Raeden ne vient pas d’une culture de hockey. Il a été élevé dans Parc-Ex par un père immigré du Ghana. « Moi, je suis plus un gars de soccer », explique son père, Yao Dzirasah Eden, 33 ans.

Mais Yao a pris des cours de patin il y a quelques années parce qu’il voulait être en mesure de patiner avec son fils. Maintenant, l’hiver, il sort avec Raeden sur les patinoires extérieures. Il essaye de regarder 20 minutes de hockey chaque soir avec son fils, « pour qu’il apprenne quelques trucs ».

Raeden, qui parle quatre langues (français, anglais, la langue de son père, le ewe, et celle de sa mère, le twi), en est à sa deuxième saison avec SLAP.

Mais c’est peut-être sa dernière. La petite famille vient de quitter Parc-Ex pour Blainville. Raeden devrait donc se joindre à une équipe de hockey mineur dans cette banlieue la saison prochaine. « À Blainville, c’est plus sérieux. Ce sera stressant. Mais je sais que Raeden est de niveau », lâche son père.

UN MODÈLE ?

Alors que le nombre de joueurs de hockey stagne ou baisse chaque année au Québec et que les parents doivent toujours payer plus pour que leur enfant y joue, l’expérience de Parc-Extension pourrait-elle faire des petits ? Il s’agirait d’une façon futée d’initier au hockey des jeunes qui n’y joueraient pas autrement.

« Je pense que dans des quartiers populaires comme Hochelaga, Saint-Michel ou la Petite-Bourgogne, un programme comme celui-ci marcherait très bien, juge Vinnie Matteo. Un programme comme celui-ci ne marcherait pas dans le West-Island, où les parents sont prêts à mettre 1000 $ par année par enfant sur le hockey. »

Matteo estime que le projet coûte 25 000 $ par année à faire fonctionner. La majorité de l’équipement est donnée, et les entraîneurs sont bénévoles. Le soir de notre passage, chaque centimètre carré de la glace était utilisé. Il y avait simultanément un match intraéquipe, une clinique de patinage et une pour les gardiens.

« J’ai 100 jeunes et je n’ai que trois heures de glace par semaine. Je souris quand je vois les autres équipes de hockey mineur qui utilisent une pleine glace pour 20 jeunes. On n’a pas ce luxe. »

— Vinnie Matteo, cofondateur du programme SLAP

L’homme est actuellement en train d’amasser de l’équipement d’occasion pour une possible expansion dans un autre quartier. « Je n’ai plus de place où le mettre, dit-il. C’est un beau problème. »

Déjà, le succès du programme fait tourner des têtes dans le quartier. L’Association de hockey mineur de Villeray a accepté de faire un match de démonstration contre SLAP dans le but de recruter des joueurs, explique Matteo.

« Ce sera une façon pour Villeray de voir nos joueurs, rencontrer leurs parents et briser la glace. Après, ceux qui veulent et qui peuvent se le payer pourraient aller jouer avec les équipes de Villeray. »

Rasiskal Patel, lui, prépare le passage de ses garçons au hockey organisé dès l’année prochaine à Ahuntsic. Parth, 12 ans, et Neel, 10 ans, en sont à leur deuxième année de hockey et se sentent prêts à jouer dans une « vraie » équipe.

« Peut-être qu’un jour ils joueront pour le Canadien de Montréal », lance Rasiskal, optimiste. Après tout, qu’on soit né à New Delhi, Parc-Extension ou Saint-Jean-Port-Joli, quand on aime le hockey, le rêve reste le même. Il s’agit simplement d’avoir une chance, une toute petite chance.

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